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Conclusion de l'expérience





2002, fin de l’histoire

Le navire, né soixante ans plus tôt, nécessitait une restauration complète. Fut alors mis en route un projet hardi et exaltant : suspendre les voyages durant deux ans pour construire un chantier et y effectuer ces énormes travaux avec les jeunes, appuyés, guidés par des charpentiers de marine Compagnons du Devoir du Tour de France. Un passionné de bateaux anciens mettait pour cela une baie et des terrains à disposition du groupe et des Compagnons au Venezuela. Des contacts furent pris avec les Compagnons, positifs : ils bâtiraient une maison pour vivre et accueillir des apprentis de ce pays qu'ils initieraient à la charpenterie de marine. Les amis du Karrek Ven et des anciens de l'Ecole en Bateau assureraient, par dons, le financement.

Malheureusement, des facteurs économiques et sociaux défavorables avaient élevé les craintes de la société. Au tournant du 3e millénaire, cette aventure commençait à paraître à certains inquiétante, voire anormale. Dans ce climat, quelques anciens participants parvenus à l'âge adulte, se plaignant de problèmes psychologiques, les attribuèrent à leur existence particulière à bord dans leur jeunesse et portèrent de graves accusations contre les adultes d'alors. L’attaque, appuyée par quelques médias mal informés et une poignée de blogs anonymes prompts à s'enflammer, fut violente. Accusations d'abus sexuels, de manipulation mentale, de perpétuation des "principes égalitaires enfants-adultes déstructurants de mai 68"... L’Ecole en Bateau dut amener son pavillon, l’aventure des Expéditions Jules Verne, torpillée.

KV au chantier de restaurationLe projet de restauration du navire par les jeunes et les Compagnons dut donc être annulé. Il fallait pourtant sauver ce patrimoine national, porteur d'un quart de siècle de pêche hauturière à la voile et, durant près d'un autre quart, de l'expérience de l'Ecole en Bateau.
Un chantier traditionnel vénézuélien se chargea de cette restauration, sous la direction de Léonid Kameneff qui veilla à l'exactitude d'une renaissance à l'identique, avec redécouverte des savoir-faire, des techniques et des matériaux utilisés lors de sa construction.

Dans le même temps, une association de sauvegarde de ce voilier se constitua, soutenant ces travaux et cette recherche, la Société des Amis et Anciens Marins du Karrek Ven >(SamKV). Réunissant les anciens équipages, ceux des Expéditions Jules Verne et ceux du temps de la pêche, elle entreprit avec ces derniers une autre restauration, celle de l'histoire de ce navire et de la vie de ses marins durant ses campagnes de pêche jusqu'à la dernière, en 1969.

Courant 2005, la restauration du Karrek Ven achevée, quelques croisières avec des étudiants inaugurèrent le navire rénové, puis un nouveau projet prit forme, s'inspirant des expériences de l'Ecole en Bateau, à destination de jeunes de 16 à 18 ans en difficulté, "Les Compagnons du Tour du Monde" : prise en mains de sa propre aventure en un tour du monde de deux ans en bateau, et à pied en caravane d'animaux. Reportages, actions d'aide aux pays traversés. Une revalorisation et découverte de soi par ce périple.

Malheureusement, début 2008, alors que ce projet allait démarrer, Léonid Kameneff se fit brutalement interpeler et jeter dans les geôles vénézuéliennes puis extrader vers la France pour une "détention provisoire": appuyées par une campagne médiatique, les plaintes avaient suivi leurs cours. Cela sonna le glas de ces aventures éducatives, et du bateau juste reconstruit : abandonné sans carénage aux eaux chaudes, au soleil et aux pluies tropicales, le voilier commença à se détériorer. 

En 2010, des jeunes gens ayant participé, enfants, aux expéditions de l'Ecole en Bateau, touchés par ces événements, fondèrent une association qui prit en charge le Karrek Ven pour tenter de le sauver. Utilisant leurs fonds propres, faisant appel à des amis, ils parvinrent durant deux ans à payer une marina pour le protéger du pillage. Un projet en coopération avec des écoles vénézuéliennes faillit voir le jour, qui aurait financé sa lourde remise en état, mais les partenaires abandonnèrent. Les dons pour la marina se raréfiaient, il fallait d'urgence trouver une solution.
A l'initiative d'un autre ancien participant, une association culturelle proposa de chercher des fonds et de s'y investir pour le ramener en terre bretonne, support pour des spectacles à quai et en petites sorties en mer. Finalement, le projet fut arrêté. Le bateau, de toute façon, n'était déjà plus ni vivable, ni en état de naviguer.

Courant 2012, un amoureux de bateaux, triste de le voir devenir épave le remorqua jusqu'au pied de chez lui. Depuis, il est dessus - quand il ne travaille pas ailleurs pour trouver le financement de ces travaux. Le voilier, visiblement incapable de prendre la mer, a obtenu l'autorisation de prolonger son séjour dans le pays. Une autre, très lente et incertaine restauration, a débuté... (Voir la page "Et maintenant").

Ce vieux navire de pêcheurs hauturiers qui, durant 22 ans montra ses qualités pour une formation libertaire de jeunes sans avoir, de par sa taille modeste, à recourir à la lourde discipline des grands "training ships", se relèvera-t-il un jour du coup lui fut porté ?


Un regard d'aujourd'hui sur l’Ecole en Bateau

Une alternative à l'école ?

Sans doute, car :
> Le retour aux études académiques fut généralement facile.
> La réussite scolaire et universitaire fut d'autant meilleure que le séjour à bord avait duré (maturité, éventail de connaissances, dynamisme, esprit d'entreprise),
> Quelques mois seulement à bord ont parfois débloqué une situation scolaire difficile et permis un redémarrage rattrapant même un éventuel retard d'âge.

Apprentissages ancrés dans des expériences pratiques formant une solide base pour des approfondissements ultérieurs.
Entraînement au travail personnel et à la recherche, facilitant les retours en classe ou le démarrage dans une profession.
Ce sont là des apports que l'on essaie aujourd'hui même de développer  dans les "stages en entreprise"!

Dans une nouvelle aventure de ce type, il faudrait donc poursuivre de cette manière, sans tenter d'introduire un programme scolaire qui empêcherait la participation complète aux activités du bord, à savoir :
> les trois principales : navigation / recherche / entretien (du groupe, du bateau et de l'équipement),
> et celles qui en découlent, ouvertes sur l'extérieur : rapports et articles pour les médias, reportages, accueil, aide aux populations.


Jeunes et adultes, des relations dans l'ensemble égalitaires.

"Dans l'ensemble", car au début d'un séjour, un jeune est marqué par  sa situation "normale" de mineur, par rapport au majeur. Mais il voit que les plus anciens que lui ne sont guère impressionnés par l'adulte qu'ils traitent comme un des leurs. La relation, du coup, devient égalitaire, la démocratie peut s'exercer.

L’Ecole en Bateau fut la création conjointe d'adultes et de jeunes, grâce à cette décision fondatrice du début : un minimum d’adultes, afin que cette aventure soit au maximum l’œuvre des jeunes.

Dès le départ de 69, un garçon de 15 ans pratiquant déjà la voile avec Léonid Kameneff, décida d’embarquer aussi. Par son âge et ses compétences, il se trouva le lien entre les jeunes et l’adulte. L'époque étant à la réduction des distances hiérarchiques, les autres jeunes embarqués calquèrent leurs relations à l'adulte sur celles qu'il avait avec ce garçon, égalitaires et amicales, nées de leurs navigations communes.
Ce schéma relationnel perdura tout au long de l’aventure Ecole en Bateau : 
> un adulte (souvent deux sur le Karrek Ven), 
> un ou plusieurs « anciens » (adolescents ayant déjà vécu un an ou plus à bord), 
> des « nouveaux », se mettant tout naturellement au diapason des anciens.

Dans ce climat propice aux initiatives, les jeunes marins apportèrent une contribution décisive à la construction et au fonctionnement de l’Ecole en Bateau, et ce, parfois contre l'avis des adultes même du groupe !
En particulier dans deux domaines qui s’avérèrent essentiels : 
> en montrant, dès la seconde année de l'expérience, l’inadéquation des cours et des manuels scolaires à cette vie et les remplaçant  par toute la richesse des enseignements apportés par la navigation,  l'entretien d'un groupe par lui-même, le reportage, la recherche scientifique.
Et ce, sans mettre en péril la future reprise d'une scolarité classique de ses participants.
10 ans plus tard en poussant l'association à investir le Karrek Ven, un navire idéal pour ces activités, entre les sagas du passé et  des expéditions  modernes : du vieux sextant au GPS !

Ils apportèrent aussi leur touche aux relations égalitaires, s'y ménageant un espace propre.
(Poids des jeunes à l'Ecole en Bateau >>>) 

Dans le gréement

Souvent déterminante, cette influence des jeunes sur le fonctionnement et les décisions de l'Ecole en Bateau devint une des caractéristiques de celle-ci.

L'adulte a ses hardiesses (se lancer ainsi "sans filet" avec des jeunes en fut une), les jeunes ont les leurs, plus concrètes, plus "spatiales", et finalement complémentaires.

Les adultes apportèrent leurs compétences particulières. Entre autres :
pour l’un, histoire et archéologie, (histoire, économie, géographie, milieu physique, coutumes),

> et pour l’autre dès 80, avec le Karrek Ven, un savoir-faire technique (mécanique, bois, informatique, film).
Tous deux entraînèrent ainsi les jeunes à faire de ce bateau à la fois un lieu de recherche et l'atelier nécessaire à son entretien et à ses activités.

L’adulte était la mémoire du groupe et avait sans doute, plus que les jeunes, conscience des possibilités du bateau et de son équipage. Il pouvait alors être amené à inviter à s'engager dans des voies qu'il savait intéressantes et praticables pour s'y être déjà aventuré et en déconseiller d’autres, moins heureuses, voire même trop risquées. "Invitations" pas toujours bien vécues par certains jeunes lorsqu'elles les limitaient dans leurs envies.

Son ancienneté et sa permanence à bord assuraient aussi la continuité de l'expérience.

L'adulte était, aux yeux des populations, le responsable du groupe. Il dut insister auprès de quelques jeunes pour qu'ils ne donnent pas de l'équipage, par leur comportement ou leur tenue, une mauvaise image dommageable pour tous. Attitude forcément autoritaire que certains n'admettaient évidemment pas sans protester.
Néanmoins, l'adulte s'efforçait, en dépit des "normes éducatives" courantes et des habitudes qu'il avait pu ainsi contracter dans ce domaine, de ne pas dire ni faire à un jeune ce qu'il ne dirait ni ne ferait à un adulte. Principe égalitaire et de confiance indispensable à la vie d'un groupe équilibré, à la prise en charge de la vie de ce groupe et de toutes ses activités par chacun, qu'il soit adulte ou qu'il soit jeune.
(Pôles rassembleurs >>>)

En plus de son savoir de navigateur, l'adulte devait donc avoir des compétences à apporter au groupe et savoir conserver une vue d'ensemble, à la fois des personnes embarquées et des projets.
En plus de leur envie de naviguer, les jeunes devaient pouvoir prendre conscience de la situation particulière d'un tel groupe et lui apporter leurs talents propres et leur énergie.
Cette aventure dépendait de ces conditions. Ce qui, sans la rendre particulièrement difficile, ne l'ouvrait pas à tous, adultes comme jeunes.

Des critiques

Aujourd'hui, il apparaît douteux à certains (voire répréhensible) que l'adulte à bord n'ait pas eu une présence dominante, comme dans le modèle courant des relations adultes/jeunes.
Or, que l'adulte ait dominé les jeunes eut  limité leur initiative et leur participation, menant cet adulte à se voir entouré d'équipiers peu responsables. Il devait donc, au contraire, inciter à oser faire, à se dépasser.

Selon certains encore, des
relations égalitaires entre jeunes et adultes sont impossibles. Avec le comportement traditionnel des adultes et des jeunes, très formés aux classes d'âge, sans doute. Mais pas à l'Ecole en Bateau :
- Là, tous, adultes et jeunes de tous âges, se partageaient obligatoirement les nombreuses responsabilités essentielles à cette aventure. Les relations égalitaires entre les âges tombaient alors sous le sens. Il suffisait de voir vivre ces jeunes à bord après quelques mois de présence, de les voir travailler, naviguer, préparer une expédition terrestre, inviter... Le bateau était leur, et l'Ecole en Bateau leur affaire.
- Tous, adultes et jeunes, "étaient dans le même bateau" et vivaient en commun. Ils ne se quittaient pas à 17 heures jusqu'au lendemain ou au lundi. Tous continuaient, ensemble. Ils ne se réfugiaient pas dans leur chambre : pas plus de cabine pour les adultes que pour les jeunes. Pas de coffres fermés à clé, non plus, et pas de mot de passe dans les ordinateurs... Chacun pouvait partir en courses avec la carte de crédit dont le code n'était un secret pour aucun.
Etouffant ? Non : cela se passerait ainsi dans un groupe d'adultes amis et se faisant confiance.
Les jeunes étaient des jeunes, avec les larges perspectives d'avenir de leur âge, leur optimisme, leurs hardiesses, leur envie de savoir, d'explorer, attitudes qui compensaient dans le quotidien la moindre étendue de leur expérience et de leurs connaissances.
Les adultes étaient des adultes, moins souples sans doute mais, au besoin, plus soucieux, plus responsables.
En fait, plus qu'à l'âge, les différences devaient beaucoup aux caractères. Toujours comme dans un groupe d'adultes réunis pour une expédition...

Des nouveaux ou des personnes de rencontre pouvaient, par habitude ou méconnaissance, rompre cette égalité, mettant l'adulte du bord sur une estrade. Lui, pouvait aussi y grimper seul, lorsqu'il tentait, même inconsciemment, d'imposer son point de vue. Les jeunes contrebalançaient alors cette inégalité en activant leur "fraternité"...

Des relations égalitaires entre adultes et jeunes ne gênent-elles pas la construction de ces derniers, ne risquent-elles pas même de conduire à une déstructuration, faute des "repères" habituels ?
Dans un climat de laisser-aller, sans projet, sans guère d'obligations, c'est probable. Mais ce n'était nullement le cas sur ce bateau ! Une telle relation égalitaire dans le partage des tâches et des responsabilités ne pouvait que participer à la construction des personnalités. L'équipe de l'Ecole en Bateau était dans la société, dansRelevé de pétroglyphes une vie "pour du vrai", où, comme les adultes, chacun était libre de ses choix, crédible dans ses actions. Chacun s'y révélait à soi-même. Ces jeunes se construisaient mieux ainsi qu'avec une hiérarchie juste basée sur l'âge et les "droits" qui lui sont liés.
Le bateau, la recherche, le travail manuel et informatique, furent des maîtres exigeants en même temps que valorisants ; et les nombreuses relations avec un extérieur changeant avec les pays donnèrent à chacun une notion plus précise de la société que la simple fréquentation de l'établissement scolaire de leur domicile.

Trop sérieux pour leur âge ? Parfois sans doute, pour des nouveaux surtout. Mais, globalement, tel n'était pas leur avis. Ils savaient d'ailleurs transformer en jeu leur vie à bord, leur travail, leurs responsabilités. Et, quand ce n'était pas possible, cela s'appelait l'aventure...
(Aventure et grand jeu) 


Etre et savoir

Les activités de chacun n'aboutissaient pas juste à une acquisition (de connaissances). Le jeune utilisait immédiatement ses nouveaux savoirs et par là participait, créait. Puis il transmettait à d'autres ces savoirs, ces façons d'être, de faire, l'intégrant, se transformant par là.

Une conséquence en fut l'élaboration, au cours des temps, d'un "corpus de comportements", une "tradition", faite d'habitudes et de nécessités, qui offrait à chacun un ensemble de repères. Tradition évolutive grâce à l'enrichissement de l'expérience et à... l'apport même des nouveaux !
L'ensemble du fonctionnement de l'Ecole en Bateau apparaît comme complexe. Il était pourtant évident à ses participants, car toujours lié à l'expérience, au concret, au ressenti. Ce fonctionnement s'était établi progressivement, passant du Paladin (6 personnes) au Karrek Ven (12 à 15), générant une sorte de "mode d'emploi" de l'Ecole en Bateau, la "tradition évolutive".
Cette tradition évolutive, cadre informel, prend son importance lorsque la hiérarchie et les règlements sont  allégés. Elle offre des repères, suggère des lignes de conduite. Le nouveau en prend connaissance au fil des jours, en intègre les parties qui lui conviennent ou qui sont essentielles à ce type d'existence, en rejette d'autres pour lesquelles il est appelé à proposer des modifications.
(En savoir plus >>>)


L'aventure du travail

L'envie de courir l'aventure et la mer ne fit pas sacrifier le travail "sérieux" car celui-ci,
- par sa relation au voyage (entretenir le bateau),
- par sa relation à la découverte (explorer, fouiller),
- et par son caractère exceptionnel à cet âge,
était déjà une aventure :
- passer six mois dans un tout petit port turc à restaurer, sans aucune intervention externe, une grande partie d'un tel navire, afin de se lancer plus sûrement à travers l'Océan sur les traces de Colomb...
- découvrir et fouiller sous les cocotiers un des sites majeurs des anciens Indiens de la Caraïbe, excavant, analysant en archéologues consciencieux et compétents une tonne de poterie décorée, d'outillage de pierre et d'os, restaurant et installant cela dans un musée...
- s'enfoncer, sac au dos, au cœur du plateau guyanais, franchir ses torrents et ses forêts, questionner en ethnologues, les Indiens  sur leur montagne sacrée, l'escalader pour découvrir le "Monde Perdu" de Conan Doyle...
- remonter le "Superbe Orénoque" de Jules Verne, se perdre dans la multitude de canaux sous le couvert de végétation tropicale au milieu des cris des perroquets et des singes hurleurs, filmer les Indiens, essayer de les comprendre, de s'en faire des amis pour approcher leurs connaissances, leurs croyances, se faire expliquer par eux le sens des pétroglyphes soigneusement relevés sur les roches du fleuve...
- parcourir des mers et des terres de l'Europe à l'Amérique à la recherche de vestiges témoignant d'une civilisation lointaine et oubliée de marins, se repasser le flambeau d'un groupe à l'autre durant plusieurs années...

... ah, quelle histoire !

Néanmoins, la charge de travail était conséquente sur ce vieux voilier, pour des jeunes que ni l'école ni la maison n'avaient préparé à cela. Ce fut parfois la source de conflits... L'aventure exaltante n'était pas quotidienne, mais le travail, oui !
A la barre

Les jeunes, cependant, ne travaillaient pas « aux pièces ».
C'était leur luxe "d'écoliers", et une des raisons pour laquelle, s'ils assuraient bien ainsi les 2/3 du budget, la contribution parentale avait été maintenue.  
Ils pouvaient donc prendre leur temps, apprendre, recommencer, fignoler, développant un goût pour la qualité dans leurs travaux, tant manuels que de recherche. Même les repas étaient soignés !
(Anecdote >>>)


Prenons un voilier et partons.

Sur cette simple idée lancée par un adulte
, garçons et filles s’emparèrent de l’Ecole en Bateau et ne la lâchèrent plus, l’améliorant, la transformant, apportant leur souffle, leur fantaisie, leur intuition.

Le voilier fut essentiel pour l'élan vital (faire, vivre) dans lequel il entraînait son équipage de façon toute naturelle : par ses exigences, la rigueur qu'il supposait, les responsabilités sans faille qu'il nécessitait, le champ de développement physique et sensoriel constant qu'il offrait, la participation égalitaire entre jeunes et adultes qu'il permettait (contrairement au mythe du capitaine seul maître à bord), et pour le jeu, le rêve, sa beauté et celle de son environnement.
Cependant, de même que la recherche pourrait ne pas se faire nécessairement dans le domaine des sciences humaines, le voilier ne serait sans doute pas le seul média envisageable. D'autres, qui furent testés dans d'autres groupes (animaux, vélos, pirogues), avaient leurs avantages (mise en route facile, apport des animaux), mais n'offraient pas la "base mobile" qu'est un bateau, permettant de vivre l'itinérance plusieurs années, avec un équipement formateur suffisant.

Autre élément essentiel : le renouvellement partiel et non total du groupe d'année en année, à la base des relations égalitaires et de l'intégration, par les "anciens", de leurs connaissances acquises comme "nouveaux" l'année antérieure.

Tout ne fut pas rose tous les jours, ceux qui ont navigué le savent. Ceux qui ont vécu en groupe le savent aussi. Malgré les qualités de chacun, ce groupe n'échappa pas à des moments de tensions relationnelles. Les adultes n'étaient pas parfaits, ni les jeunes, ni le vieux navire, ni l'Ecole en Bateau qui devait se construire sans modèles. Mais ce fut une expérience riche d'enseignements et, pour ses participants, souvent enthousiasmante, et généralement positive.
Tout finissait par repartir : il s'agissait de jeunes, moins prompts que des adultes à ressasser des problèmes, d'un courage physique et moral tout neufs, ayant choisi cette aventure et voulant la réaliser.

Cela a fonctionné car tout était réel, concret, lié au moment, à la situation, et que les jeunes  ne venaient pas, poussés là pour apprendre, mais attirés par cette vie et ce statut d'êtres responsables à part entière. C'était fondamental pour eux, et pour certains plus important même que l'aventure.
(Interview >>>)

 Coup de vent

Une telle aventure serait-elle possible, aujourd’hui ?


Possible, sans doute,
à condition de ne pas enfermer cette ardeur et cette créativité dans une structure philosophique, pédagogique ou administrative. Le bateau parle, il suffit de l'écouter. Le projet, l'action, devraient primer, et les jeunes en rester maîtres, dans un véritable rapport égalitaire avec le ou les adultes.

Souhaitable, évidemment : outre ceux des collégiens qui réclament une vie active, bien des jeunes, mêmes "tranquilles", ont besoin de telles réalisations, d'espace, de mouvement, de découvertes, d'exploration et de grandes actions. L'itinérance, à l'aube de l'humanité, se trouve peut-être aussi à l'aube de chaque homme.
Le comportement excessif, voire délictuel, de nombreux jeunes, n'est sans doute pas sans relation avec leur immobilisation contrainte, physique et sociale ; et s'il croît et se durcit aujourd'hui, ce pourrait être en raison de la limitation croissante de l'aventure dans notre société.
Souhaitable aussi car ce type d'aventure est un bon entraînement à la mobilité de la vie contemporaine, tant sur le plan géographique que professionnel, social et familial. La mobilité adulte actuelle met l'individu en face de lui-même, il doit se réadapter, prendre des décisions. Ce sont là des comportements que développait cette vie en bateau.

Plus difficile, certainement, en raison du vent limitatif de telles initiatives, tant par les règlements que par la mentalité d'un public rendu craintif. Néanmoins, plutôt que de rogner les aspects les plus positifs d'une telle expérience pour en offrir une version édulcorée, il conviendrait d'informer mieux les familles sur les bienfaits d'une aventure authentique, parfois difficile mais, par là-même, génératrice de bienfaits.

La fin brutale de  l'Ecole en Bateau évoque la destruction d'une culture : les savoir-faire, savoir-être, peu à peu élaborés à bord par des générations de jeunes et suite à la traversée ensemble d'une multitude d'évènements, savoirs régulièrement transmis au fil des jours, naturellement, par les anciens aux nouveaux qui embarquaient, disparurent d'un coup. Un redémarrage avec des jeunes sans cette passation d'un héritage disparu sera difficile. Il faudrait en tenir compte dans une telle pespective.

Des voiliers, rares aujourd'hui, se lancent encore avec des jeunes sur les flots, pour des "séjours de rupture" variant de quelques semaines à quelques mois. Travaillant en grande partie pour des administrations, ils sont astreints à un encadrement adulte plus important et à un soutien scolaire. Leurs résultats sont néanmoins positifs : les jeunes y vivent une épopée encore exceptionnelle, revalorisante, pour laquelle leur pleine participation est demandée. Ainsi, l'association Grandeur Nature, riche de quinze années d'expéditions, accueille des jeunes dès 10 ans (si jeune, c'est peut fréquent), pour une année scolaire sans la coupure d'un retour chez soi (peu fréquent également).  

Une belle aventure suisse, celle de l'association 1000 Sabords qui durant 11 années, a accueilli des jeunes de 12 à 17 ans pour des séjours très sportifs en voilier, de 8 mois s'insérant dans une année scolaire. Cette activité s'est interrompue récemment mais pourrait reprendre.

Le caractère très positif de l'itinérance est clairement montré par les réalisations de l'association Seuil, de Bernard Ollivier, pour des jeunes en fin de peine carcérale ou en remplacement de la prison : http://www.assoseuil.org/index.html

De nos jours, l’Ecole en Bateau, ne serait pas fondamentalement autre que ce qu'elle fut, car ce sont ses caractéristiques qui en firent la vertu essentielle. Les jeunes marins continueraient donc à conduire cette aventure exceptionnelle. Leur statut d’égalité avec les adultes serait maintenu. Ils le revendiqueraient d’ailleurs…

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