"Nous faisons marcher ce bateau aussi bien que des adultes, nous travaillons comme eux et avec eux, pas de raison de nous traiter en enfants."
Cet "esprit Ecole en Bateau" gagna rapidement l'équipage du Karrek Ven, traduisant une fierté, mais aussi une "fraternité" à la fois refuge et, si besoin, force d'opposition : au traitement souvent condescendant des adultes de rencontre, à telle pression de l'adulte à bord pour tel projet, ou simplement pour retrouver de temps en temps un monde adolescent qui leur soit propre.
Esprit de corps, qu'ils manifestèrent à travers la saga dans laquelle ils avaient plongé, celle de la vieille marine à voile : lors d’une escale aux fripes de Gibraltar, ils se composèrent... un uniforme ! Vareuse où ils cousirent un logo du bateau, et pantalon de marin.
En apparence, un jeu. En fait la définition d'une sphère intime propre à eux dans laquelle l'adulte ne tenta pas d'entrer. Quelques années plus tard les jeunes à bord laissèrent tomber l'uniforme, mais cet esprit et cette fraternité demeurèrent, soudant le groupe et l'aidant à résister aux "vents contraires"...

Autres interventions des jeunes :

En 80, le Karrek Ven,
délaissé dans un port, paraissait un navire bien au dessus des moyens financiers et manœuvriers des petits groupes de l'Ecole en Bateau. Les adultes hésitaient donc fort à s'en charger mais les jeunes, déjà s'y voyaient. L'un d'eux, surtout : "On en trouvera, des sous ! Si on le veut !" Ce n'était pas un caprice : entraînant le groupe dans sa fougue, ce garçon mit toute sa passion et son savoir-faire au redémarrage de ce bateau abandonné, qui allait s'avérer "le" navire pour ces expéditions, cette vie, ces recherches, ces apprentissages multiples.

Ce furent les jeunes qui décidèrent de mener ce grand voilier vers des expéditions plus lointaines, plus aventureuses, en mer Rouge et à travers l’Atlantique. "On n'a pas de bonnes voiles ? Allez, on met des draps et on y va !"

En pleine nature et sous des latitudes clémentes, le bord connut le naturisme. Ce fut encore la hardiesse des jeunes qui le lança : à la traîne derrière le bateau, la mer arrache les maillots ; on remonte à bord tout nu, c'est rigolo... Ah, faut manœuvrer ! On y file, comme ça... Puis, l'habitude s'en prend, en mer, quand le temps y invite... L’époque (70/80) aussi y invitait : le naturisme gagnait dans les familles, les vacanciers en bateau, parents et enfants, s’y adonnaient largement. Des colonies de vacances aussi. Des reportages sur l'Ecole en Bateau passèrent dans les programmes pour jeunes des grandes chaînes de télévision, sans devoir censurer ces moments.
Aucune obligation à bord, cependant. Quelques uns ne se mirent jamais nus devant les autres. Pudeur respectée. Mais, quand le lieu et le temps le permettaient, la plupart des nouveaux imitaient les anciens.
Aujourd’hui, cette évocation gêne, inquiète, même. Evolution des mœurs ressentie à bord, que de nouveaux jeunes importèrent vers la fin des années 80, limitant peu à peu la nudité aux bains en pleine mer et à la toilette. 

Ce furent des filles qui introduisirent la mixité. Lors de réunions d'information dans les écoles, elles réclamèrent de participer également à ces expéditions.
- Pourquoi pas nous ? Et les filles de la Rochelle, alors ?

Leur effectif à bord et son évolution témoigne du lien entre Ecole en Bateau et société :
- Les premières arrivent début 75, venant d'écoles "alternatives" moins inquiètes d'une mixité dans le monde encore très masculin du bateau. La navigation se faisait alors surtout en Méditerranée, bordée de pays relativement proches et stables. 
- Puis, en 85-86, le bateau passa en mer Rouge et en Turquie. Plus loin, plus inquiétant pour les familles. Aussi, les filles disparurent-elles.
- Vint le projet de partir pour les Amériques. Une fille rejoignit le bateau mais, sous pression paternelle, dut le quitter avant la traversée océanique de 89.
- Quelques années de navigation sans histoire du Karrek Ven en Amérique firent réapparaître des filles. Pas pour longtemps : un terrorisme mondial faisait parler de lui, les procès en pédophilie se multipliaient, la crainte revenait... et les filles s'envolèrent !
D'autres organisations avec des jeunes en bateau ne souffrirent pas de ce "yo-yo" féminin. Mais c'est que leur bateau partait de France ou d'un pays voisin, pour une période bien limitée de quelques mois, et revenaient au point de départ. L'Ecole en Bateau, au temps de séjour non défini à l'avance, et à rejoindre seul(e) outre-Atlantique, pouvait faire peur : les "écoles alternatives" fermaient, les "écoles nouvelles" rognaient leur "nouvelleté", la population n'était plus celle des années 70, les filles ne parvenaient plus à convaincre leurs parents... (l'effectif de candidats garçons aussi diminua).